10 Of Dukes + 6 Originals

Présentation

« S'il était nécessaire de rappeler l'attachement et la dette de Lacy envers la Tradition, modelée dans un vocabulaire proprement "lacyen", voilà qui est fait. Les deux parties de son concert en solo furent simplement stupéfiantes. »

« La première partie, intitulée "Ten of Dukes", fit l'éclatante démonstration de la connaissance du jazz classique par Lacy et de son audacieuse palette d'improvisateur. Chaque morceau avait une saveur particulière, tout en respectant l'esprit de la composition originale. In a Mellow Tone mérita son titre, mélodie berçante et gracieuse. The Mooche fut démonté, décortiqué, tout en conservant la flamme brûlante de la version de Sidney Bechet, qui amena Lacy à se consacrer au saxophone soprano. Sans doute personne n'avait jamais entendu une pareille version de Prelude to a Kiss : une inflexion (montée et descente) de cinq notes (!) magistralement maîtrisée, sans le moindre mouvement de doigt, uniquement par la respiration et le contrôle de l'anche par les lèvres… Incroyable. Azure fut joué entièrement — thème et improvisation — très doucement, avec un vibrato et un voile contrôlés de façon remarquable par la langue et la gorge. Impressionnant. En contraste, Cottontail swingua dans la plus pure tradition, tandis que Koko fut une merveille de dissonances et de folie, Lacy soufflant dans le pavillon du saxophone pour en extraire des sons "africains" bizarres et d'autres inventions soniques. Le morceau final, To the Bitter, fut paradoxalement doux comme un fruit mûr, parfois joué de la seule main gauche (toutes les notes se situant dans le registre aigu de l'instrument) — une accalmie bienvenue après la fureur passée, et une élégante manière de conclure en douceur un set remarquable.

Lors de la seconde partie, ne furent jouées que des compositions originales de Lacy. Art, basé sur un poème d'Herman Melville, évoqua des gammes japonaises auxquelles le public pouvait être sensible. En dépit de son titre proche de la célèbre composition de Monk, Round about Midnite (depuis renommé On a Midnight Kick) est en fait une composition récente et très différente de Lacy. Wave Lover, autre composition récente, toute en transparence, rappelait par son jeu en demi-tons chuchottés avec délicatesse, l'harmonie et les émotions de Tina’s Tune. Le morceau final, Traces, basé sur les mots évocateurs du philosophe et poète Ryokan (XVIIe siècle) :

“Nous ne nous rencontrons que pour nous séparer,
Allant et venant comme les nuages blancs
Laissant des traces si ténues
Qu'une âme les remarque à peine.”

permit de conclure par une note japonaise ce magistral et admirable concert en solo."

Gilles Laheurte (extrait de sa chronique des concerts - traduction Vincent Lainé)